Le viol est-il une culture ?

La bascule du nouvel an s’est faite dans la souffrance à Cologne. Des centaines de femmes ont été agressées, voire violées. Souffrance massive qui a provoqué une indignation unanime. Mais cette indignation a souvent pris une forme presque aussi indigne que ce qu’elle dénonçait, à savoir le rejet des migrants et de la “culture” qui aurait permis ces violences éhontées. Les Arabes musulmans étaient des violeurs, au moins en puissance, puisque c’était “dans leur culture”, comme en témoignent un certain nombre d’articles, de livres, la caricature de Charlie Hebdo du petit Aylan, représenté à l’âge adulte harcelant les femmes à Cologne, et jusqu’à un intellectuel arabe : “la culture [du migrant] est ce qui lui reste face au déracinement” (Kamel Daoud, Le Monde du 31 janvier 2016 “Cologne, lieu de fantasmes”). Comme si la goujaterie, le harcèlement, le viol étaient des comportements appartenant à une culture alors qu’ils proviennent au contraire de la nature dans ce qu’elle a de plus dévoyé, sauvagerie que la culture est là pour entraver, refouler, transcender. Aussi le rapport au femme est-il moins l’indice d’une culture que de son degré de développement dans un pays. En France, il y a quelques décennies, une femme seule, les cheveux dénoués, fumant en buvant une bière à la terrasse d’un café aurait été considérée comme une prostituée par tous les hommes présents, et probablement traitée comme telle. La brutalité n’est pas une culture, c’est l’absence de culture.

Absence de culture chez les uns certes, mais défaut de police chez les autres. Car partout, de Cologne au Caire, de New York à New Dehli, les hommes désirent le corps des femmes et ne sont jamais loin de vouloir les prendre, si la distance est trop faible. Ne voit-on pas, partout sur nos murs, se dresser des campagnes contre le harcèlement ? Serait-ce aussi dans “notre culture” ? C’est dans notre nature, et la police nous le rappelle si nous l’oublions. Comme le montraient déjà l’“insociable sociabilité” de Kant et le “malaise culturel” de Freud, la violence gratuite ne prend racine ni dans la culture, dont le principe est un lien élévateur, ni dans la nature, dont le principe est un besoin limité, mais dans l’impunité.

Car la tentation de prendre quand on ne peut pas se faire prendre est universelle, comme le raconte Platon dans son mythe de l’anneau de Gygès. Même le meilleur des individus ne pourrait résister à la possession d’un anneau qui, chaton retourné, le rendrait invisible ; même le plus chaste, le plus discipliné, les plus intelligent utiliserait cet anneau, de la façon qu’on imagine. L’anneau, c’est l’impunité, et inversement l’incapacité du groupe à exposer ce qui le menace. Le 31 décembre, en l’absence de caméra, de police, d’hommes protecteurs, de Dieu vengeur, la distance aux femmes s’est réduite, et ce qu’on ne pouvait pas voir a permis ce qu’on ne voulait pas voir.

On dira : si ç’avait été des Allemands, tout cela ne serait pas arrivé, même sans police ni caméra. Mais précisément : des autochtones auraient immédiatement été retenus par le contrôle mutuel, le regard des femmes qu’ils rencontreraient demain dans la rue, par ces visages connus, reconnus, ce visage de leur propre bonheur social dont ils auraient anticipé la grimace irréversible. Que les migrants n’aient pas éprouvé cette pression du lendemain, cette sympathie intérieure, ne vient pas de la culture qu’ils ont, mais des bornes qu’ils n’avaient pas, et des barrières qu’on ne leur a pas données.

Allons plus loin. La partie indigne de cette indignation eût été impossible sans la toile du fond du culturalisme, c’est-à-dire de l’idée qu’on n’a jamais que la morale de sa culture. Or le culturalisme contient une contradiction interne qui me paraît le disqualifier d’entrée, à savoir une hiérarchisation incohérente parce que partielle : d’une part, il évalue les cultures pour en exclure certaines, réduites à l’un de leur trait, dominant ou non, qu’il s’agisse de pratiques d’excision, de valeurs guerrières, d’une structure sociale inégalitaire, mais d’autre part, il refuse de hiérarchiser, à l’intérieur de ces cultures, les différents traits qui les composent, et sont plus ou moins dignes d’y figurer. Hiérarchie interne que, pourtant, nous ne privons pas de faire quand, par exemple, il s’agit de choisir entre la France libre et l’État français. Le culturalisme traite les cultures comme des choses et pour y enfermer les peuples et les classer.

On arguera enfin du traitement différent des femmes dans telle ou telle société. Mais, là encore, une femme violée dans la France des années 50, ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même, et se serait vu rétorquer qu’elle aurait dû faire attention, qu’elle avait peut-être été suggestive sans le vouloir, etc., situation qu’on s’empresse de dénoncer quand elle a lieu en Egypte ou en Inde. Encore une fois, les variables les plus pertinentes qui expliquent la différence des sociétés, ce sont le degré d’impunité qu’elles concèdent et de culture qu’elles inculquent. Que les niveaux s’inversent, et le pire est possible. Que feriez-vous, autrement dit, avec l’anneau de Gygès ? Qui va leur jeter la pierre, à ces hommes ? Les Allemands, vraiment ? S’il faut punir ces crimes sans relâche, on doit se garder de condamner comme inhumain ce qui n’est qu’humain, trop humain.

Les événements terribles de Cologne ne témoignent pas d’un clash des civilisations, mais d’un défaut de police dont la fonction est précisément de compenser le manque de culture et d’autodiscipline pour empêcher la résurgence d’une nature destructive. D’où qu’elle vienne.

Guillaume von der WeidLe viol est-il une culture ?

One Comment on ““Le viol est-il une culture ?”

  1. Galley sandrine

    Bonjour.quand un individu te vole ton corps et ton âme,car oui c’est cela tout cela qui s’envole après un tel tsunami physique et mental….est-il nécessaire de savoir d’où cette personne vient?nous tous ferions mieux d’aider ces femmes ou hommes à qui cela arrive.car oui près de chez nous trop près cela est et à toujours été.quand j’entends des commentaires de personnes à ce sujet,je suis horrifiée de leurs manières de dire ‘mon dieu’ parce que ce sont ces mêmes gens qui détournent le regard lorsqu’ils croisent des toxicomanes au sol,défoncés…sachez que parmi cette immense tare qu’est la toxicomanie se trouve un très grand nombre de personnes ayant été abusés enfants.alors derrière cette déchéance innommable qui est un suicide latent comprenez bien tous et toutes que ces déchets que certains osent appeler ainsi,étaient de jeunes enfants à qui l’on a tout pris.et l’espoir ne les habite plus,ce qui est fondamental pour chacun de nous!l’héroïne est leur seul moyen pour embellir leur imagination salie pourrie par les mains d’adultes.un viol n’a pas d’appartenance raciale.il est le mal qui rentre en toi de l’extérieur pour encore mieux essayer de te tuer….lentement lentement de maniere diabolique.mais on peut s’en sortir.je le sais.bien à vous.

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